"Je suis un artiste tendu vers l'absolu" disait récemment
l'artiste lors de sa nouvelle exposition intitulée "Métamorphée"
à Paris. Toujours aussi mystérieux sur les profondes raisons
qui l'animent, Lars Kirienko a encore (une fois n'est pas coutume) surpris.
Surpris effectivement par cette tension presque insoutenable qu'il appelle
absolu. Mais quel absolu ? L'artiste se fend d'un sourire avant de nous
laisser seuls, face à son oeuvre, face aux lignes qui décrivent
la limite du vide.
Élevé dans la pure tradition au sein d'une famille aisée,
Arnoldt se rebelle très vite contre ce qu'il appellera plus tard
"cette prison de cristal". Cette vision de fragilité et de finesse
à la fois, il la gardera durant toute sa jeunesse. Les tableaux
désormais incontournables "Esthétique ensevelie" ainsi
que "Résonances du moi" sont là pour en témoigner.
Mais cela ne lui suffit pas. Il brise alors sa cage de verre pour rentrer
enfin dans la plénitude de son oeuvre. Oeuvre qui aujourd'hui plus
que jamais se révèle sans faille.
Quand on lui demande s'il a un secret, le génial géomètre
répond en tournant ses yeux brumeux vers le ciel : "quelques litres
de pure Malte ou quelque lignes de coke". Il éclate de rire...L'humour
n'est plus un fardeau pour lui.
Morphée, dieu des songes et du sommeil, capable de prendre n'importe
quelle forme humaine. "Métamorphée", au-delà
des songes, au-delà des transformations. L'oeil a beau chercher
ses repères, il est obligé de se laisser entraîner
dans le tourbillon des courbes absentes, implicites du tableau majeur de
cette exposition "géométrie désincarnée". D'un
bout à l'autre des droites plantées comme une victoire sur
la logique, l'auteur nous balance d'une extrémité à
l'autre de notre connaissance. Ici l'absolu, déjà ! Notre
appréhension du monde est vaincue par le cercle incessant du retour
aux choses et de l'esprit. Pas de haine, pas de joie, juste une migration
vers l'absolu qui nous renvoie à la contingence du savoir humain.
Sans armes et sans orgueil, le génie touche le connu et le transforme
en vérité. Choqué, le regard résiste mais il
est soudain plaqué par le subtil jeu de la bidimensionalité.
Pris au piège, le spectateur se détourne de l'oeuvre pour
s'en échapper. Il est tenaillé entre la toile et le trait,
il étouffe un cri. L'absolu, encore !
Mais est-ce suffisant ? Cette contingence est-elle suffisante ? L'éternel
retour décrit-il un chemin limpide ? "Non !" s'empresse de
nous rappeler Lars. Son oeuvre entière est là pour nous le
rappeler. Bien sûr, la dialectique est mise à nu, sa honte
se reflète sur toute la surface sans perspective de son épistémologie.
Mais il lui manque quelque chose d'imperceptible et pourtant si nécessaire
à son accomplissement : une subjectivité. Une conscience
de soi qui se rend capable de parler à elle-même. Et voilà
l'absolu authentifié ! L'émotion esthétique n'en est
que plus belle. Gnoséologie hasardeuse s'indigneront les uns, tension
formidable s'exclameront les moins naïfs. Car, dans le flot contemporain
de talents exigus refoulés par l'expression même de leur art,
Lars Kirienko transcende les courants, plus, il les rend pitoyables. Un
nouveau Midas qui rend tout ce qu'il touche humble et misérable.
Le soleil est trop fort, la lumière irradiante nous transforme en
aveugle qui, suppliant une aide improbable, se voit secouru par le dernier
des hommes, le dernier des artistes, le dernier génie...